CHAPITRE VII
ÇA SENT LA POUDRE !
Cecilia n’est peut-être pas la championne du mimi mouillé, mais elle a pour l’amour des dispositions surnaturelles. Je lui fais mon grand jeu : la torpille nippone, le bouquet de violettes, le frisson papou.
Elle fait un cirque du tonnerre. Ses cris sont si perçants qu’à un moment donné je monte l’amplificateur du poste.
Lorsque je la laisse choir, elle est aussi flasque qu’une douzaine de limandes.
Vous parlez d’une séance !… Si jamais je signe pour une tournée à travers l’Europe, ne manquez pas de retenir votre jeton huit jours à l’avance, ça vaut le coup d’œil !
Je lui dépose un gros bécot sur la bouche, un dernier, sans passion, un baiser d’adieu.
— Bonne nuit, Cecilia… Fais de beaux rêves…
Elle a un soupir :
— Vous partez ?
— Oui, je vais à mon hôtel.
— Restez ici…
— Non, j’ai besoin de prendre l’air ; après l’amour, l’animal est triste !
Elle est tellement vannée qu’elle ne proteste pas. Je rectifie ma toilette et je quitte l’appartement sur la pointe des pattes.
Dans le couloir, j’aperçois deux mecs à allure bizarre. Je n’y prête pas attention parce que, des mecs à allure bizarre, il y en a plein les rues.
Ces deux-là se dirigent vers l’ascenseur, tout comme moi. Je parviens à leur hauteur et nous formons un petit groupe devant la porte. L’un a appuyé sur le bouton d’appel. Quelques secondes s’écoulent et il ouvre la porte. Je suis un peu surpris, car il l’ouvre sur le vide. Mais je comprends rapidos. L’autre gnace qui, par une rapide manœuvre, est passé derrière moi, me flanque un coup d’épaule pareil à un coup de boutoir. J’ai l’impression d’essuyer la charge de la brigade sauvage ! Ma pensée fonctionne à quinze cents tours-seconde ! Je vois l’immense carré noir de la cage d’ascenseur qui vient à ma rencontre ; je tends les bras, mais sans parvenir à agripper quoi que ce soit. Puis, c’est le grand valdingue, en grenouille, dans les profondeurs. Mon subconscient me dit en vitesse que je suis fini. Venir à Chicago pour crever dans un trou, c’est un peu pénible sur les bords, vous ne pensez pas ?
J’ai encore le temps de penser que nous sommes au quatorzième étage. Lorsque j’atterrirai, je serai disloqué comme une poupée de son lorsque douze chiots ont joué avec elle !
Et, presque aussitôt, je sens un choc maison.
Je repose sur une surface plane.
« Bon Dieu ! me dis-je, je n’ai pas descendu quatorze étages. »
Je suis sur le toit de la cabine, indemne. Juste un nerf un tantinet froissé, autant dire le gros miracle.
Je ne bronche pas. J’attends en me disant que mes agresseurs se sont peut-être bien aperçus que la cabine n’était pas au rez-de-chaussée. Mais ils ont fait la valise rapidos à l’autre bout du couloir où se trouve le second ascenseur. Par mesure de sécurité, je laisse s’écouler quatre à cinq minutes que j’emploie à frotter ma cuisse endolorie et à penser à tout ça.
Puis je me souviens que les ascenseurs, ici, sont munis d’une trappe permettant de les évacuer en cas de panne. Reste à savoir comment fonctionne cette trappe ! Je la délimite et je sens une poignée. Je tire. Elle s’ouvre comme la porte d’un meuble de cuisine, car elle est à va-et-vient. Je pénètre donc dans la cabine de la façon la plus aisée qui soit après la grande porte. Puis j’en sors enfin et je m’époussette. Je suis au treizième, c’est-à-dire que je n’ai dégringolé qu’un seul étage. Or, les étages sont courts, ici, et le toit de la cabine est moins dur que du bitume.
Mon ange gardien a traversé l’Atlantique en ma compagnie, c’est un gentil petit mec.
Comme je suis salement écœuré par les ascenseurs, je me tape les treize étages à pince. Pour succéder à une séance d’amour à grand spectacle, c’est un peu beaucoup !
J’ai les flûtes en flanelle de coton en arrivant en bas. Heureusement, un bar me tend les bras.
Je lâche mon mot de passe :
— Double scotch.
Le garçon obéit avec empressement, car j’ai parlé net. Je potasse mon petit lexique et je dis, après avoir vidé mon glass :
— Again !
Le barman remet ça et je continue de jouer aux vases communicants. Quatre whiskies dans la bedaine, c’est une bonne compagnie pour un homme dans mon cas.
Je me sens remis à neuf. Je cigle et je sors.
La nuit est bien belle, avec beaucoup d’étoiles au ciel et beaucoup de néons dans les rues.
Je biche un taxi et je lui ordonne de me conduire au Cyro’s. Tandis que je cherche de la morniflette pour le casquer, une fois arrivé, un crieur de journaux passe, en hurlant. Je ne pige rien à ses cris, mais, en première page du canard qu’il brandit, je reconnais une photo de femme. Elle tient quatre colonnes à la une. Pas moyen de se gourer. J’achète un journal. Ma faible connaissance de la langue anglaise et mon intuition me permettent de lire le titre et le sous-titre :
« Le Français a frappé une huitième fois ! Une nouvelle taxi-girl est abattue à son domicile. »
Et, juste dessous, il y a le portrait de la souris que j’ai calcée la nuit d’avant. Elle a l’air vachement vamp, là-dessus. Je me rappelle avoir vu cette photo contre le mur de sa chambre. Elle a été tirée par un photographe spécialisé dans le portrait de pin-up. Ce gars-là, il sait travailler, parole ! C’est le superman du contre-jour. Vous lui refilez une centenaire et il vous en extrait une photo sexy.
Un champion, je vous dis !
Un super-champion !
Cette mort et mon plongeon dans l’ascenseur sont du même tonneau. La pauvre môme a bien été butée à cause du Français, mais, le Français en question, c’est bibi. Le boy-scout de Grane n’a pas été à la hauteur.
Je jette le canard car, ici, ils sont tellement mahousses, les baveux, que vous ne pouvez pas les cloquer dans votre poche.
Puis j’entre au Cyro’s.
Maintenant, les lieux me sont familiers. Je fends la foule des danseurs, contourne l’estrade de l’orchestre et pousse la porte du couloir.
Un escogriffe du type argentin, vert comme une olive, avec des rouflaquettes en pointe, s’interpose.
— Seruti, please ! fais-je sèchement.
Ça ne lui suffit pas, il fait des magnes. Il me barre le couloir en mettant ses ailerons en croix. C’est une fâcheuse idée pour sa gonfle. Un type dont les bras sont écartés appelle pour ainsi dire le crochet du droit à la mâchoire. Je lui mets tout le paquet. Ça fait comme lorsqu’on lâche un sac de noix. Ses chailles jouent la danse macabre. Quant à lui, il se répand sur le tapis.
Je pousse une lourde, la première venue. Elle donne sur un réduit dans lequel sont entreposés des instruments de musique.
Je traîne ma victime par le collet dans ce coinceteau et je lui plonge la tirelire dans une grosse caisse crevée.
Voilà une bonne chose de faite. Il y a longtemps que je n’avais pas billé dans le portrait d’un truand.
Je reviens au couloir et me dirige vers la porte du bureau. J’entre sans frapper. A quoi bon prendre des manières élégantes avec des gens qui sont aussi peu cordiaux ?
Seruti est en train de téléphoner. Il est tourné de profil et ne se donne même pas la peine de regarder de mon côté. Sans doute croit-il qu’il s’agit de son escogriffe ?
Je lui laisse achever sa petite conversation, après quoi je m’assieds sur le coin de son bureau.
Il a un haut-le-corps et me regarde exactement comme si j’étais la réincarnation de Ravaillac.
— Non, Seruti, dis-je doucement, ça n’est pas mon fantôme.
— Que… que voulez-vous ?
— Discuter à cœur ouvert avec toi, mon chéri.
— Mais…
— Non, plus de mais entre nous, trésor.
Je cramponne sa cravate de la main gauche et je la tords, ce qui, illico, le fait devenir écarlate. De la droite, je me mets à lui administrer une kyrielle de beignes sur le museau. Des allers et retours… Je ne m’arrête que lorsque ma main est endolorie. A ce moment-là, il ressemble à un mec qui s’est engueulé avec une douzaine de kangourous. Son pif saigne, ses lèvres éclatées aussi. Il a une paupière fermée et les joues violettes.
Ma main est maculée de sang. Je sors de sa poche le fin mouchoir de soie blanche parfumé et m’essuie après.
Avant de lâcher sa cravate, je cueille son feu dans son holster. Il faut toujours se méfier des réactions d’un lâche. Parfois, il leur vient comme des accès de courage désespéré.
— Ceci, dis-je enfin, n’est qu’une légère mise en train, mon trognon. Je voulais simplement te montrer que je suis décidé à parler net.
« Nous allons donc bavarder en amis. Inutile de tricher, je sais que tes potes ont buté la môme dont je t’ai parlé tantôt. Cette souris a été mise en l’air à cause de moi, elle m’a servi de test. Maintenant, j’ai la preuve que tu es étroitement mêlé à l’affaire des meurtres. Toi et ta bande, vous avez eu peur que la môme ne m’ait parlé. Alors, vous l’avez occise et vous avez voulu me liquider itou pour annuler le coup. Mais on ne bute pas San-Antonio facilement, je suis un dégourdi dans le genre de Raspoutine. Pour m’avoir, faut y mettre le prix ! »
Il est hagard. Son œil unique est injecté de sang. Il me fixe avec terreur.
— J’ai fait exprès de te parler de cette fille, Seruti. C’était un piège, elle me servait d’appât. Je voulais voir si vous aviez quelque chose à cacher. Mon plan était de la faire protéger par la police, mais les flics sont dégourdis comme des manches. C’est malheureux. Mais sa mort m’apprend que j’avais mis dans le mille. Et l’attentat dont j’ai été victime aussi. Maintenant, les brèmes sont abattues, parle !
Il balbutie :
— Je… je ne sais rien…
— Sans blague ! Tu serais amnésique, Seruti ? A ton âge ? T’as reçu un choc ou quoi ? On m’a raconté qu’un nouveau choc rendait parfois la mémoire aux amnésiques, qu’est-ce qu’on risque d’essayer ?
Je lui téléphone un parpin sur la tempe. Il bascule. Je le rebiche au moment où il va s’écrouler.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu tombes dans les pommes dès qu’on te parle un peu fort ?
Notez qu’il est toujours assis dans son fauteuil pivotant et que je l’ai admirablement à ma poigne.
— Parle !
— Je ne…
Il n’a pas le temps de finir. Mon crochet du gauche le foudroie nature !
Il part à la renverse, le fauteuil s’incline. Je m’écarte de lui pour le laisser à son évanouissement et me dégourdir un tantinet les tiges.
Je fais quelques mouvements de culture physique élémentaire. Ensuite, je me mets à la recherche d’un flacon de raide. Il est facile à dégauchir, Seruti est assez porté sur le biberon. J’en torche une vaste lampée et je fais couler un peu de liquide corrosif entre les dents du Rital. Il ne tarde pas à pousser un soupir.
Il rouvre son œil valide.
— Alors, fais-je, ce voyage au pays des songes ?
Il a la bouche pâteuse et il claque de la langue difficilement.
Je lui tends la bouteille.
— Tiens, remets-toi !
Il attrape le goulot, boit longuement. Sa glotte monte et descend dans son cou maigre comme un yo-yo.
Et, brusquement, il a une détente. Il lève la bouteille et cherche à me l’abattre sur le dôme. C’est raté, car je suis bien plus haut que lui. Si j’avais été à sa hauteur, j’y allais de mon aubergine !
Je lui arrache la bouteille et je lui file un coup de genou sous le menton.
— Tu es turbulent, Seruti… Ça te perdra.
Il saute comme un chat hors de son fauteuil. Il a l’air bien décidé. Sans que j’aie eu le temps d’intervenir, une lame brille au bout de ses doigts. J’avais un peu oublié qu’il était Rital. Les Ritals naissent avec un ya à la main, la chose est connue !
— Pose ce cure-dents, fiston, ou alors ça va barder pour ta couenne !
Mais il joue son va-tout. Il y a maintenant le fauteuil entre lui et moi. Et, au lieu de me foncer dessus, il recule. J’ai compris, c’est un lanceur. A vingt pas, ils vous plantent une lame dans le cœur aussi facilement que vous sucez une feuille d’artichaut.
Si je ne réagis pas dans la seconde qui vient, il me perce. Son œil me vise soigneusement, sa main est ferme.
Alors, je sors mon feu. Il lève la main, je tire et me jette à plat ventre.
Un sifflement, un cri.
Je me relève ; le couteau vibre dans le bois de la porte, Seruti est affalé sur son bureau avec un gros trou dans la tête.
Ces calibres 45, ça ne pardonne pas.
— Pauvre cocu ! je murmure.
Et c’est de moi que je parle.
Laisser échapper une pareille occase de se mettre au parfum, avouez que c’est sauvagement tartouze. Non ?
Seruti, c’était le témoin no 1. En m’y prenant bien, j’étais certain de le faire jacter. Les gars comme lui se mettent toujours à table lorsqu’on les invite d’une certaine manière.
Mais, la manière, je ne l’ai pas eue. J’ai tout raté en lui tendant sa bouteille de rye. L’alcool l’a brusquement dopé. Il lui a causé une réaction violente.
J’examine le cadavre.
Seruti est mort comme il n’est pas permis de l’être. J’ai idée que Maresco ne va pas aimer ça du tout, du tout !
J’entrouvre la porte. La musique fait rage. Personne n’a entendu mon coup de pétard, grâce à l’orchestre et à ses mambos.
Je quitte le bureau et referme la lourde.
Puis je longe le couloir. La salle est en pleine hystérie. C’est très bon, ça. J’enfonce mon bada sur mes yeux et je me mêle à la foule.
Il va y avoir un drôle de pet lorsque le meurtre sera découvert. Mieux vaut que je ne m’éternise pas ici davantage.
En loucedé, je quitte le Cyro’s.
Comme je vais en franchir le seuil, une pogne s’abat sur mon épaule.
Je sursaute et me retourne. Stumm est là, souriant.
— Alors, monsieur le commissaire, fait-il, cette enquête ?
— Elle se poursuit, dis-je.
— Vous avez fait une petite tournée d’inspection dans la salle ?
— Tout juste.
— Rien à signaler ?
— Rien.
— Vous avez vu que le tueur s’est manifesté une fois de plus ?
— J’ai vu.
— C’est moche.
— Très moche.
Il me regarde et renifle.
— Vous ne trouvez pas que…
— Que quoi ?
— Que ça sent la poudre ?
— Non, dis-je.
Il approche son tarin de moi d’une façon un peu cavalière. J’ai bien envie de le lui ramoner d’un coup de patte, mais je me contiens, mieux vaut stopper le massacre pour l’instant. D’un moment à l’autre, l’escogriffe du réduit va retrouver ses esprits et crier à la garde. Ça me contristerait d’être embarqué dans cette affaire, surtout en ayant sur moi l’arme du crime.
— Oui, continue Stumm, vous sentez la poudre.
— Peut-être parce que j’étais dans une boîte où l’on faisait partir des pétards ?
— Sans doute, dit Stumm, incrédule.
Je porte deux doigts à mon galure.
— Bye-bye !
Il a une légère inclination de tête et il devient rêveur. Moi, je les mets !